Déverrouiller le microbiome intestinal : le rôle de la bactérie Alistipes dans l’amélioration de la résistance à l’insuline et la réduction du risque de diabète

Il y a plus d’un siècle, les premières observations d’une communauté de cellules microbiennes, principalement composées de bactéries, vivant à la fois dans nos intestins supérieurs et inférieurs, ont marqué les débuts de ce que nous appelons aujourd’hui le « microbiome ». Inventé par Joshua Lederberg en 2009, le terme fait référence à un écosystème riche et complexe de micro-organismes qui exercent une influence significative sur diverses facettes de la santé et de la physiologie humaines. Malgré les efforts dévoués des chercheurs dans ce domaine, notre compréhension de ce paysage microbien complexe en est encore à ses balbutiements, et il reste encore beaucoup à découvrir et à comprendre. Le microbiome continue de faire l’objet d’intenses recherches scientifiques, alors que ses profondes implications sur le bien-être humain deviennent de plus en plus évidentes.(1,2) 

Nos bactéries intestinales peuvent-elles améliorer la résistance à l’insuline ?

Aujourd’hui, dans une étude récente menée par des chercheurs du Centre RIKEN pour les sciences médicales intégratives au Japon, une avancée significative a été réalisée. Ils ont découvert un ordre distinct de bactéries intestinales connues sous le nom d’Alistipes indistinctus, ce qui démontre leur potentiel de protection contrediabète de type 2etobésitéen augmentant la résistance à l’insuline. Cette découverte met en lumière l’interaction complexe entre les bactéries intestinales et la santé métabolique, présentant ainsi une voie prometteuse pour de futures interventions.(3)

De plus, la recherche a identifié des bactéries appartenant à l’ordre des Lachnospiraceae, qui sont plus répandues dans les selles des individus présentant une résistance à l’insuline que chez celles qui n’en présentent pas. Cette découverte suggère que ces bactéries pourraient servir de biomarqueurs précieux pour identifier et surveiller la maladie.

De telles connaissances sur la composition microbienne de l’intestin offrent des outils précieux pour évaluer et comprendre la santé métabolique, ouvrant la voie à des approches ciblées dans la prévention et la gestion de maladies telles que le diabète de type 2 et l’obésité. L’étude, publiée dans la prestigieuse revue Nature, marque un pas important vers la compréhension des complexités du microbiome humain et de son impact profond sur notre bien-être général.(4) 

Que montre l’étude ?

Le lien entre les bactéries intestinales et la résistance à l’insuline suscite un vif intérêt parmi les chercheurs. Dans une étude approfondie, 306 personnes en bonne santé âgées de 20 à 75 ans, avec une moyenne d’âge de 61 ans et dont aucune n’était diabétique, ont été examinées. Les échantillons de selles obtenus lors des contrôles réguliers ont été méticuleusement analysés. Parmi cette cohorte, 71 pour cent étaient des hommes.

Après un examen attentif, une corrélation notable est apparue. Les individus présentant des niveaux plus élevés de certains glucides dans leurs matières fécales, en particulier des monosaccharides comme le glucose, le fructose, le galactose et le mannose, étaient plus susceptibles de présenter une résistance à l’insuline. Cette découverte souligne le rôle potentiel des glucides alimentaires dans l’influence sur la santé métabolique.(5)

En approfondissant la composition microbienne des échantillons, les chercheurs ont découvert une plus grande abondance de bactéries Lachnospiraceae chez les individus présentant une résistance à l’insuline. De plus, ceux qui présentent des niveaux élevés des monosaccharides susmentionnés dans leurs selles ont tendance à avoir une plus grande présence de cette famille bactérienne. Cette découverte suggère un lien potentiel entre des bactéries spécifiques et le développement de la résistance à l’insuline.

À l’inverse, les individus dont les échantillons de selles présentaient une proportion plus élevée de bactéries de type Bacteroidales, par opposition aux Lachnospiraceae, présentaient des niveaux plus faibles de résistance à l’insuline.(6)De plus, ces individus avaient tendance à avoir moins de monosaccharides présents dans leur intestin. Cette découverte met en évidence l’impact potentiel de la composition microbienne intestinale sur la santé métabolique et la sensibilité à l’insuline.

L’étude a fourni des informations précieuses sur l’interaction complexe entre les bactéries intestinales, les facteurs alimentaires et la résistance à l’insuline. Il a en outre souligné l’importance de comprendre le rôle du microbiome dans la santé métabolique et offre des pistes potentielles d’intervention visant à améliorer la sensibilité à l’insuline et à prévenir des maladies telles que le diabète de type 2. 

Comment l’étude a-t-elle catalogué les métabolites fécaux ?

Les chercheurs estiment que l’un des points forts de leur étude résidait dans le catalogage complet de 2 800 métabolites fécaux annotés, associé à une analyse approfondie du microbiome et de la pathologie de l’hôte.

Les métabolites, qui sont de petites molécules produites au cours du métabolisme cellulaire, offrent des informations chimiques précieuses sur les cellules responsables de leur production.

Cette approche a permis aux chercheurs d’identifier des métabolites spécifiques liés à la résistance à l’insuline, d’établir des liens entre les glucides fécaux et l’inflammation de faible intensité associée à la résistance à l’insuline, puis de sélectionner des candidats à valider par des expériences sur des souris.

L’un des auteurs de l’étude a expliqué que même si des études antérieures avaient montré des associations entre les microbes intestinaux et des conditions telles que l’obésité ou la résistance à l’insuline chez l’homme, elles n’avaient pas réussi à établir une relation de cause à effet entre ces microbes et l’obésité. Dans cette étude, grâce à une combinaison d’analyses du métabolome et d’expérimentations animales, l’équipe a non seulement établi une relation causale, mais a également démontré que l’administration orale d’Alistipes peut assurer une protection contre la résistance à l’insuline.

L’étude s’est principalement concentrée sur les métabolites hydrophiles – ceux qui se mélangent facilement à l’eau. Dans les recherches futures, l’équipe vise à se pencher sur les métabolites hydrophobes ou lipidomiques qui, sur la base d’une analyse préliminaire, englobent également des métabolites intrigants associés à la résistance et à la sensibilité à l’insuline. 

Comment la bactérie Alistipes améliore-t-elle la résistance à l’insuline ?

La bactérie Alistipes, un genre spécifique de microbes intestinaux, étudié par l’équipe de recherche, a été impliquée dans l’amélioration potentielle de la résistance à l’insuline. Bien que les mécanismes précis soient encore à l’étude, de nouvelles recherches suggèrent plusieurs manières possibles par lesquelles Alistipes pourrait influencer la sensibilité à l’insuline :(7) 

  • Production d’acides gras à chaîne courte :Les bactéries Alistipes sont connues pour produire des acides gras à chaîne courte (AGCC) comme sous-produit de leur métabolisme. Les SCFA, tels que l’acétate, le propionate et le butyrate, ont été associés à une sensibilité accrue à l’insuline. Ils peuvent réguler le métabolisme du glucose et améliorer la signalisation de l’insuline dans les cellules.(8)
  • Modulation de l’inflammation :Les espèces d’Alistipes peuvent jouer un rôle dans la réduction de l’inflammation de l’intestin. L’inflammation chronique de bas grade est un facteur contribuant à la résistance à l’insuline. En modulant la réponse immunitaire, la bactérie Alistipes pourrait potentiellement contribuer à atténuer cette inflammation et à améliorer la sensibilité à l’insuline.
  • Fermentation des fibres alimentaires :La bactérie Alistipes est connue pour être impliquée dans la fermentation des fibres alimentaires dans l’intestin. Ce processus conduit à la production d’AGCC qui, comme mentionné précédemment, peuvent avoir des effets positifs sur la sensibilité à l’insuline.
  • Régulation de la fonction de barrière intestinale :Certaines études suggèrent que certaines bactéries intestinales, dont Alistipes, pourraient influencer l’intégrité de la barrière intestinale. Une barrière intestinale saine aide à prévenir la fuite de substances nocives dans la circulation sanguine, ce qui peut contribuer au dysfonctionnement métabolique et à la résistance à l’insuline.(9)
  • Métabolisme des acides biliaires :La bactérie Alistipes peut être impliquée dans le métabolisme des acides biliaires, qui jouent un rôle dans le métabolisme des lipides et l’homéostasie du glucose. Cette interaction pourrait potentiellement avoir un impact sur la sensibilité à l’insuline.

Il est important de noter que même s’il existe de plus en plus de preuves suggérant un lien potentiel entre la bactérie Alistipes et l’amélioration de la résistance à l’insuline, la recherche dans ce domaine en est encore à ses débuts. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes spécifiques par lesquels les Alistipes et d’autres bactéries intestinales influencent la santé métabolique. 

Accès aux bactéries A. indistinctus et rôle inattendu des Monosascharides

Il est important de savoir que l’accès à la bactérie A. indistinctus est actuellement limité. Cependant, les auteurs de l’étude indiquent que même si les probiotiques contenant A. indistinctus ne sont pas actuellement disponibles, le paysage pourrait évoluer avec la justification de cette recherche.(10)

Concernant le biomarqueur potentiel de la résistance à l’insuline, les Lachnospiraceae, une approche potentielle consiste à identifier des bactériophages et/ou des endolysines spécifiques ciblant les Lachnospiraceae. Ces agents pourraient potentiellement détruire les souches de Lachnospiraceae, à condition qu’ils soient jugés sans danger pour l’usage humain.(11)

De plus, la découverte de monosaccharides dans les selles des individus a surpris de nombreux experts, car jusqu’à présent, il était largement admis que tout ce qui était absorbable était déjà absorbé au moment où il atteignait le côlon.

On pense désormais que ces glucides proviennent probablement de fibres alimentaires, qui sont généralement décomposées par les bactéries intestinales. Avec une présence plus élevée de Lachnospiraceae dans le côlon, il existe également une plus grande probabilité d’augmentation de la production de monosaccharides par ces microbes, ce qui peut entraîner des niveaux élevés de monosaccharides fécaux.(12)

Cependant, étant donné que les monosaccharides ne peuvent pas provenir du corps humain jusqu’au tractus intestinal, il est improbable que l’insuline joue un rôle en présence de niveaux accrus de monosaccharides dans les matières fécales. 

Quelles autres mesures pouvez-vous prendre pour réduire votre risque de diabète ?

Réduire votre risque de développer un diabète implique d’adopter une approche holistique de la santé. Voici plusieurs étapes que vous pouvez suivre : 

  • Maintenir une alimentation équilibrée :Concentrez-vous sur les aliments entiers et riches en nutriments comme les fruits, les légumes, les grains entiers, les protéines maigres et les graisses saines. Limitez votre consommation d’aliments sucrés et transformés et optez pour des glucides complexes.
  • Exercice régulier :Pratiquez une activité physique régulière. Visez au moins 150 minutes d’exercices aérobiques modérés par semaine, ainsi que des exercices de musculation deux jours ou plus par semaine.
  • Gestion du poids :Atteindre et maintenir un poids santé. Perdre l’excès de poids, en particulier autour de l’abdomen, peut réduire considérablement le risque de diabète.
  • Surveillez les niveaux de sucre dans le sang :Si vous souffrez de prédiabète ou présentez un risque de diabète, la surveillance de votre glycémie peut fournir des indicateurs précoces de tout problème potentiel.
  • Restez hydraté :Une bonne hydratation soutient la santé globale, y compris la fonction métabolique. Essayez de boire beaucoup d’eau tout au long de la journée.
  • Obtenez un sommeil de qualité :Visez 7 à 9 heures de sommeil de qualité par nuit. Un mauvais sommeil peut perturber l’équilibre hormonal et contribuer à la résistance à l’insuline.
  • Limitez les aliments transformés et les sucres :Minimisez votre consommation d’aliments transformés, de collations sucrées et de boissons sucrées, car elles peuvent entraîner des pics de glycémie.
  • Connaissez votre histoire familiale :Comprendre les antécédents médicaux de votre famille peut fournir des informations importantes sur vos propres facteurs de risque.

N’oubliez pas que des changements positifs dans votre mode de vie peuvent avoir un impact profond sur votre santé globale et réduire considérablement votre risque de développer un diabète. C’est toujours une bonne idée de consulter un professionnel de la santé pour obtenir des conseils et des orientations personnalisés.

Conclusion

La recherche sur l’influence des bactéries intestinales sur la résistance à l’insuline et le risque de diabète représente une avancée significative dans notre compréhension de la santé métabolique. La découverte d’Alistipes indistinctus et son potentiel à atténuer la résistance à l’insuline ouvre de nouvelles voies pour les stratégies d’intervention et de prévention. De plus, l’identification de biomarqueurs bactériens spécifiques, tels que les Lachnospiraceae, fournit des informations précieuses pour évaluer la santé métabolique.

Bien que notre connaissance du microbiome intestinal en soit encore à ses débuts, cette étude souligne l’impact profond que ces communautés microbiennes peuvent avoir sur notre bien-être général. Il souligne la nécessité de poursuivre les recherches dans ce domaine afin de libérer tout le potentiel de l’exploitation des bactéries intestinales pour améliorer la santé métabolique. À mesure que notre compréhension s’approfondit, nous pourrions assister au développement de thérapies et d’interventions innovantes qui révolutionneront la gestion de la résistance à l’insuline et du diabète. Les implications potentielles de cette recherche s’étendent bien au-delà du domaine de la santé intestinale, offrant l’espoir d’un avenir avec un risque de diabète réduit et des résultats métaboliques améliorés pour les individus du monde entier.

Références :

  1. Davenport, E.R., Sanders, J.G., Song, S.J., Amato, K.R., Clark, A.G. et Knight, R., 2017. Le microbiome humain en évolution. Biologie BMC, 15(1), pp.1-12.
  2. ASM.org. (s.d.). Microbiomes : une histoire d’origine.
  3. taxonomie (s.d.). Navigateur de taxonomie (Lachnospiraceae). [en ligne]www.ncbi.nlm.nih.gov.Disponible à :https://www.ncbi.nlm.nih.gov/Taxonomy/Browser/wwwtax.cgi [Consulté le 26 septembre 2023].
  4. Takeuchi, T., Kubota, T., Nakanishi, Y., Tsugawa, H., Suda, W., Kwon, A.T.J., Yazaki, J., Ikeda, K., Nemoto, S., Mochizuki, Y. et Kitami, T., 2023. Le métabolisme microbien des glucides dans l’intestin contribue à la résistance à l’insuline. Nature, pp.1-7.
  5. Biologie en ligne (2019). Définition et exemples de monosaccharides – Dictionnaire de biologie en ligne. [en ligne] Articles, tutoriels et dictionnaires de biologie en ligne. Disponible à :https://www.biologyonline.com/dictionary/monosaccharide.
  6. Kulagina, E.V., Efimov, BA, Maximov, PY, Kafarskaia, L.I., Chaplin, A.V. et Shkoporov, A.N., 2012. Composition en espèces des bactéries de l’ordre des Bacteroidales dans les selles de personnes en bonne santé d’âges différents. Biosciences, biotechnologie et biochimie, 76(1), pp.169-171.
  7. Parker, B.J., Wearsch, P.A., Veloo, A.C. et Rodriguez-Palacios, A., 2020. Le genre Alistipes : bactéries intestinales ayant des implications émergentes sur l’inflammation, le cancer et la santé mentale. Frontières en immunologie, 11, p.906.
  8. Frolova, M.S., Suvorova, I.A., Iablokov, S.N., Petrov, S.N. et Rodionov, D.A., 2022. Reconstruction génomique de la production d’acides gras à chaîne courte par le microbiote intestinal humain. Frontières des biosciences moléculaires, 9, p.949563.
  9. Ghosh, S., Whitley, C.S., Haribabu, B. et Jala, V.R., 2021. Régulation de la fonction de barrière intestinale par les métabolites microbiens. Gastro-entérologie et hépatologie cellulaires et moléculaires, 11(5), pp.1463-1482.
  10. Nagai, F., Morotomi, M., Watanabe, Y., Sakon, H. et Tanaka, R., 2010. Alistipes indistinctus sp. nov. et Odoribacter laneus sp. nov., membres communs du microbiote intestinal humain isolés des matières fécales. Revue internationale de microbiologie systématique et évolutive, 60(6), pp.1296-1302.
  11. Vacca, M., Celano, G., Calabrese, F.M., Portincasa, P., Gobbetti, M. et De Angelis, M., 2020. Le rôle controversé des lachnospiracées intestinales humaines. Microorganismes, 8(4), p.573.
  12. Chumpitazi, B.P., 2020. Le microbiome intestinal en tant que prédicteur de l’efficacité du régime alimentaire des oligosaccharides faiblement fermentescibles, des monosaccharides et des polyols dans les troubles fonctionnels intestinaux. Opinion actuelle en gastroentérologie, 36 (2), pp.147-154.